dimanche 11 mars 2007

Deux écritures du silence

Lu La Place d'Annie Ernaux. Texte émouvant que ce regard d'une fille sur son père, que cette écriture qui dit l'amour et le silence. Ernaux décrit ses textes comme auto-socio-biographiques: les rapports sociaux sont effectivement au coeur du texte, avec cette violence du fossé entre l'origine modeste des parents et l'embourgeoisement de la fille. Dans ce gouffre s'insinuent langage et silence. Une belle écriture féminine, c'est-à-dire une écriture sobre, tranchante, dont les deux meilleurs exemples sont Agota Kristof et Marguerite Duras. La présence auctoriale ne me semble pas très intéressante, elle affaiblit plutôt qu'elle ne renforce le caractère fragmentaire du texte, l'espace donné au silence.

Lu également Loin d'eux, premier roman de Laurent Mauvignier. Texte court, long toutefois. Mais une belle écriture, un bâton d'aveugle qui tâtonne, qui s'entête à donner forme à l'informe. Je me contenterai ici de citer Michèle Gazier: "Comment dire le silence en littérature? Comment exprimer cette impossibilité à parler qui tue plus sûrement qu'une arme? Comment faire sentir avec des mots écrits, des phrases ordinaires, les tourments intérieurs de ceux qui, justement, ne trouvent pas les mots? (...) [C'est] un roman d'écrivain qui sonde avec des mots les abîmes du silence et de la solitude, qui explore les gouffres de l'incommunicabilité (...), une suite ininterrompue de monologues intérieurs, un répons silencieux de voix solitaires qui ressassent leur désarroi autour d'une disparition." Ces voix, celles de Luc, le jeune homme qui se suicide, de Jean et Marthe les parents, de Gilbert et Geneviève, de Céline la cousine, parlent des autres, de ce qu'elles taisent aux autres, de l'autre (la mort, le néant) en soi.