jeudi 11 octobre 2007

A défaut d'aller voir Marie à Caen...


... j'ai vu l'excellent Retour en Normandie de Nicolas Philibert (réalisateur d'Etre et avoir). Un film documentaire d'une grande richesse. En 1975, Nicolas Philibert assiste René Allio dans la réalisation du film Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère,...; trente ans après, il décide de retourner en Normandie sur les lieux du tournage.
L'un des motifs les plus importants est celui des "vies minuscules" (donne envie de relire celles de Pierre Michon) auxquelles on veut rendre hommage. Allio avait choisi Rivière, un jeune Normand du XIXème siècle qui tue une partie de sa famille et s'en explique dans un récit bouleversant. Philibert continue, avec ce documentaire, en rendant hommage aux paysans qui ont interprété les rôles principaux du film d'Allio. Trente ans après, tous se souviennent du film qui a à différents égards marqué leur vie, tous en parlent de façon intelligente et touchante. Ce film porte un regard extrêmement amical et bienveillant sur le monde rural. A noter également l'incroyable destin de Claude Hébert, qui jouait Pierre Rivière et que Philibert finit par retrouver: la bonté d'Hébert devenu prêtre, la bonté de tous ces acteurs, d'Allio, de Philibert, marque véritablement le film.
Le motif du même et de l'autre apparaît dès les premières images du film qui montrent la naissance de petits cochons, à la fois identiques et différents. Le récit de Philibert est l'autre et le même, dans un effet d'écho au récit de Rivière, à l'essai de Michel Foucault qui s'est le premier penché sur cette affaire, aux carnets et au film d'Allio. La structure feuilletée du film de Philibert, dans lequel images du film d'Allio, entretiens des acteurs paysans, paysages normands bouleversés par la modernité se superposent et s'enchevêtrent parfaitement, rappelle les matriochkas et donne un effet de vertige.
Donne envie de lire les carnets de René Allio, qui portent notamment sur sa démarche artistique, le nom de chiendent qu'il prête à celle-ci et sur la solitude de l'artiste.
Le documentaire s'achève sur une scène du film d'Allio qui avait été coupée au montage. Philibert rend hommage à une autre vie minuscule, celle de son père, qui jouait cette scène. Bouleversant silence puisqu'il choisit de ne pas intégrer la bande-son.
Ce motif des vies minuscules m'est très cher, mais l'association entre mémoire et identité ne peut se détacher d'une certaine mélancolie. Comment l'art qui souhaite rendre hommage à ces vies peut-il le faire sans sous-entendre que c'est lui qui les sauve du néant? Allio, Philibert, Michon parviennent-ils à cet effacement?

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